[Réflexion philosophique]

Un soir de cet été, j’étais en voiture direction Taussat pour mon marché nocturne, quand j’écoutais un podcast sur l’histoire d’un jeune homme qui est parti en voyage au Népal et est devenu moine. Je savais d’avance que la thématique me plairait et c’est avec avidité que j’ai pris connaissance de son expérience. Il expliquait son rapport au temps pendant son voyage, et la façon dont ça a littéralement modifié sa vision du quotidien. Dès les premières secondes où il a évoqué la notion de temps en voyage, j’ai été projetée 3 ans auparavant dans ma propre vie, quand j’étais en solo à l’autre bout du monde pour 3 mois.

Il a fallu quelques jours pour que ma vision du temps ne change. Les premiers jours, peut-être les premières semaines, j’avais encore l’heure en tête, pour organiser mes déplacements, mes visites, mes journées. Puis très vite, c’est comme si le temps était devenu extensible. Comme si les aiguilles ralentissaient. Comme si les minutes puis les heures se rallongeaient. Tout en moi se posait. Tout se relaxait. Mon être entier appréciait ce qui m’entourait et le temps se distendait. Il s’étirait. A un moment, plongée au cœur de mon voyage, j’en oubliais la vraie vie. Le rythme effréné de mon ancien quotidien. Les contraintes, les obligations, les règles. J’étais libre. Libre de tout. Personne pour me dicter quoi faire. Personne pour me surveiller. J’étais seule parmi les autres, et l’horloge de mon téléphone ne comptait plus. Seule et libre. Sans contraintes, sans obligations, sans règles. Libre de vagabonder ci-et-là au gré de mes envies. Libre d’avancer, le nez en l’air, les yeux ébahis, le cœur en quête de nouveau, de beauté, de découvertes. Une liberté qui vous envahit et ne vous lâche plus. Une liberté immense qui vous emplit de bonheur et vous nourrit. C’était le moteur de mon nouveau quotidien pourtant limité dans le temps. Me laisser vivre. Rester seule. Me laisser libre. Et jamais de ma vie je ne me suis sentie aussi bien, seule, avec ma nouvelle liberté. Le temps ne comptait plus mais en même temps, j’en avais fait mon allié. Il était absent et il dirigeait pourtant bien ces moments choisis à l’aspect distendu. J’avais tout le temps devant moi pour profiter. Et à la fois je me sentais comme hors du temps. Je me disais simplement au fond de moi que j’étais en train de vivre un pan de ma vie différent de tous les autres. Comme si c’était écrit que je devais le vivre un jour. Et j’en avais tellement besoin à ce moment précis… il était temps.

Mon intuition et mes envies guidaient mes journées. J’avais planifié à chaque fois les grands axes de mon séjour dans les pays dans lesquels j’atterrissais, mais je vivais tout au fil de mes humeurs, de mes rencontres, de mes curiosités. Un palais majestueux à visiter, un paysage particulier à découvrir, une ville atypique sur mon chemin, un restaurant recommandé dans le Routard. Oh une plage !

Ce qui devait être un voyage salvateur d’un gros chagrin d’amour, mais aussi initiatique à la découverte de mon moi profond s’est transformé en un véritable périple sensationnel. J’ai guéri de mes blessures et vaincu de nombreuses peurs. Je me suis enrichie de belles rencontres, éphémères ou irrésistibles. Je me suis recentrée, posée, reposée, ressourcée. J’ai lu, écrit, dessiné, admiré. La solitude ne me fait pas peur, elle m’élève. Je le sais encore plus maintenant. J’avais de longs jours devant moi pour faire le point, réfléchir, méditer. A l’amour, l’amitié, la famille, le travail, les loisirs, le sens de la vie. Plus d’une fois les vagues m’ont bercée et enveloppée pour sécher mes larmes. Plus d’une fois j’ai réappris à respirer en marchant en pleine nature. Plus d’une fois j’ai souri de pouvoir contempler de véritables merveilles ou à percevoir de simples petits signes de la vie sur mon chemin. Culture, nature, plage, ville, mon emploi du temps était rythmé d’alternances de paysages et de visages si intrigants. J’aime me sentir perdue. J’aime les lieux inconnus car ils allument une petite flamme en moi. Ce sont les moments où je me sens bizarrement le plus à l’aise, à ma place, mais pourtant étrangère à ce qui m’entoure. La nouveauté, la découverte, l’intrigue. Quand vous êtes à l’étranger dans des endroits inexplorés, vous vivez la pleine conscience. Tous vos sens sont en éveil.

Imaginez vivre ça pendant trois mois d’affilée. A l’autre bout de la Terre. Seule avec votre sac à dos. C’est une expérience inouïe qui vaut toutes les expériences de la vie. Je suis arrivée peinée, fatiguée, démotivée, perdue et faible. Je suis rentrée heureuse, en forme, ambitieuse, recentrée et forte. Le temps s’est vraiment arrêté. Pour moi. Pendant que le reste de la Terre entière continuait de s’agiter, moi je faisais du sur place. J’étais comme spectatrice de scènes de vie. Et pourtant, comme j’ai avancé dans ma tête… Et pourtant, j’en ai engouffré des kilomètres. J’en ai visité des lieux ! Un tiers de mon voyage passé à me prélasser sur des plages paradisiaques. Les deux autres tiers répartis entre coins nature et coins culture. Je n’ai dû m’arrêter, repliée dans ma chambre d’hôte, que deux ou trois jours sur les quatre-vingt-dix, rassasiée de découvertes. J’ai apprécié le temps à sa juste valeur parce qu’il m’a permis d’explorer à ma façon. Mon être tout entier s’est calmé et a su apprécier ce périple. Je n’avais plus notion du temps qui passait, de quel jour on était, de ce qui m’attendait. L’improvisation a primé et miraculeusement, ces 3 mois m’ont paru une éternité. J’étais libre d’avancer comme je l’entendais, au rythme où je voulais, et plus rien d’autre ne comptait. Le temps est perçu différemment selon le contexte dans lequel on se trouve. Et pourtant, il avance toujours au même rythme, où que l’on soit. Soulagée de tout ce poids quotidien, je me suis allégée et affranchie de tout le négatif. Je pouvais enfin être moi et vivre ma vie comme je l’entendais. Je ne sais pas si je revivrai cette échappée un jour. C’est comme si j’avais vécu dans un monde parallèle. Ou dans l’univers, là où le temps prend une autre dimension. C’était tout simplement magique. Et j’ai compris que le bonheur, c’est s’approprier le temps.

2 commentaires sur « Sur le temps en voyage »

  1. Une très belle philosophie. Cet article me parle beaucoup, parce que je suis comme ça dans la vie de tous les jours, difficile de ralentir et de prendre le temps.
    Bravo en tout cas pour l’introspection 🙂

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